Le transport ferroviaire relève du cas d’école du monopole naturel. Son ouverture à la concurrence relève du mythe.
Les coûts fixes, liés un l’installation et l’entretien du réseau y sont importants, tandis que les coûts marginaux (le coût de l’usager supplémentaire) sont décroissants. Compte tenu de l’investissement nécessaire, aucun concurrent n’a intérêt à s’engager dans une activité qui ne peut dégager du profit qu’à la condition de capter toute la clientèle et de lui imposer une tarification élevée, supérieure au coût moyen. Pour cela, l’entreprise engagée la première dans cette activité doit naturellement détenir le monopole. Lorsque cette entreprise assure une mission de service public, la tarification qu’elle doit proposer à l’usager doit se faire au plus près possible du coût marginal. A défaut, un tarif trop élevé réduit l’utilité de ce mode de transport pour le plus grand nombre. La puissance publique doit par conséquent subventionner cette activité, par nature déficitaire dès lors qu’elle assure un maillage étendu du territoire et au moindre coût pour l’usager. Le modèle d’un service public intégré, subventionné par l’Etat, était parfaitement cohérent avant l’ouverture à la concurrence. Le statut des cheminots était en conformité avec l’esprit de service public qui animait le travail de chaque agent de la SNCF.
L’ouverture à la concurrence, impulsée par les paquets ferroviaires des institutions européennes, est une aberration. En imposant l’autonomie de chacune de des composantes du transport ferroviaire, elle filialise une activité dont l’efficacité dépend de l’intégration de l’entreprise. Elle contraint l’entité gestionnaire du réseau à relever les péages, à s’endetter plus lourdement, à réaliser des économies sur l’entretien du réseau et à réduire l’étendue-même du réseau. Pour l’exploitation, elle ouvre la concurrence à des opérateurs privés qui finiront par monopoliser le segment de réseau qui leur est attribué et à relever leurs tarifs pour dégager des profits.
Les propositions de la mission conduite par de Jean-Cyril Spinetta, contenues dans le rapport intitulé « L’avenir du transport ferroviaire »,
s’inscrivent dans le cadre du modèle d’ouverture à la concurrence prôné par les institutions européennes. Le rapport ne recommande pas une privatisation en tant que telle de la SNCF. Il suggère de remplacer l’actuelle Entreprise Publique Industrielle et Commerciale (EPIC), bénéficiant de la garantie de l’Etat sur sa dette, par une Société Anonyme à capitaux publics, sans garantie d’Etat. La dette passée serait certes reprise par l’Etat, mais, en supprimant la garantie de l’Etat, l’objectif recherché par le changement de statut est clairement d’accroître le coût de l’endettement pour durcir la contrainte financière de la nouvelle société. Celle-ci sera alors conduite à réaliser « des gains de productivité », à réduire le maillage du réseau secondaire ou à demander aux Régions d’en assurer le financement… à l’heure où ces dernières restent dépourvues d’autonomie fiscale et sont les victimes de la baisse des dotations de l’Etat et de ses sommations à réduire leur endettement !
Pour s’attaquer à la dette et réduire le poids de l’engagement public, le rapport Spinetta suggère non seulement de fermer 9.000 km de lignes pour réduire les couts fixes, mais aussi de s’attaquer au statut des cheminots afin de réduire les coûts salariaux. La mise en application de ses recommandations aggravera les inégalités territoriales et accentuera la désertification rurale. Les gares et lignes secondaires non-rentables fermeront. L’entretien du réseau se dégradera, ainsi que la sécurité, d’autant que les nouveaux opérateurs recruteront, en nombre plus restreint, du personnel non statutaire, moins formé et inaccoutumé aux normes requises par les métiers spécifiques du transport ferroviaire. Ceci réduira la capacité de prévention et de réaction des agents face aux pannes et dysfonctionnements. Mais, tout cela permettra à SNCF réseau de réduire les péages des nouveaux opérateurs privés.
La finalité d’une activité de réseaux assurant une mission de service public ne peut être la maximisation du profit.
La SNCF, intégrée et subventionnée, était l’entreprise qui assurait la meilleure qualité de service et le meilleur maillage du territoire au monde. Elle engendrait de nombreuses externalités positives, justifiant l’engagement de la puissance publique au service de ce bien commun. Les réformes de 1997 et de 2014 ont planté les clous que le rapport Spinetta propose désormais d’enfoncer au détriment de l’intérêt général et de l’usager, plus que jamais considéré comme un client à exploiter par une tarification bien supérieure au coût de l’usager. Ses recommandations profiteront aux opérateurs bénéficiaires de la fallacieuse « ouverture à la concurrence » : des monopoles sur chaque ligne, dont l’Etat aura privatisé les profits, après avoir socialisé les pertes de SNCF Réseau.
Publié le 21/02/2018 dans Marianne – Par Liem Hoang Ngoc