Ce vendredi 1er novembre entrent en vigueur les nouvelles conditions d’indemnisation mises en place par la réforme Macron de l’assurance chômage. Plus d’un tiers des inscrits à Pôle emploi devraient y perdre au nom d’une incitation à travailler, partant du postulat qu’il y a un chômage volontaire.
La persistance d’un chômage de masse, au cours de ces trente-cinq dernières années, avait conduit la plupart des économistes à écarter l’hypothèse du chômage volontaire, synonyme d’une économie en plein-emploi. C’est pourtant ce postulat qui est sous-jacent à la réforme de l’assurance chômage.
La réforme entrant en vigueur ce vendredi 1er novembre 2019 durcit les conditions d’accès à l’indemnisation. Il faut désormais avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois, au lieu de 4 mois sur les 28 derniers mois. Il faudra de plus avoir travaillé six mois, au lieu d’un, pour recharger ses droits. Selon l’UNEDIC, 200 000 demandeurs d’emplois ne pourront plus ouvrir de droits. 210 000 pourront ouvrir un droit à une indemnité, mais retardée (de 5 mois en moyenne). 300 000 pourront ouvrir un droit à une indemnité, mais la durée du versement de l’allocation sera raccourcie. La réforme modifie la règle de détermination du salaire journalier de référence (dont le montant sera de fait abaissé) sur la base duquel est calculé l’indemnité. 37% des chômeurs indemnisés verront ainsi leurs indemnités réduites. Enfin la réforme rend dégressive l’indemnisation du chômage des cadres.
Outre son aspect austéritaire, cette « tuerie » (dixit Laurent Berger) a pour but d’inciter les chômeurs, suspectés de « préférer le loisir » (c’est le jargon des économistes néoclassiques), à accepter les emplois dont la création a été stimulée grâce à la réduction massive du coût du travail (notamment occasionnée par la pérennisation du CICE). Dans cette vision idyllique d’un marché du travail en plein-emploi, tout travailleur qui le souhaite peut trouver un emploi dès lors qu’en théorie, la baisse du coût du travail conduit mécaniquement les entreprises à recruter. Celles-ci seraient malheureusement confrontées à une pénurie de main d’œuvre, en partie due au système d’assurance chômage « le plus généreux d’Europe » (dixit Muriel Pénicaud). Il faut donc le réformer pour inciter les chômeurs à « substituer le travail au loisir ». Selon la même philosophie, la prime d’activité a pour vocation d’accroître l’incitation à travailler. Lors de la crise des « gilets jaunes », son augmentation fut, au nom de l’emploi, préférée à la hausse du salaire minimum.
Cette représentation du monde est-elle empiriquement validée ? Il existe certes des pénuries de main d’œuvre, mais leur nombre ne dépasse pas 400 000 emplois vacants et sont limités aux secteurs de la restauration et du bâtiment. Mais surtout, peut-on considérer les 3 364 500 demandeurs d’emploi de catégorie A et les 5 530 600 demandeurs d’emploi des catégories A, B et C inscrits à au 3ème trimestre à Pôle emploi comme des chômeurs volontaires ? Le simple fait que le chômage ait décru, à mesure que la conjoncture se soit améliorée, atteste qu’ils sont prêts à travailler aux conditions du marché.
Ce chômage de masse est donc en majeure partie un chômage involontaire. Outre le blocage du mouvement de réduction du temps de travail, il est lié aux fluctuations de l’investissement et de la consommation, composantes de la demande globale. Celle-ci a bénéficié d’un « alignement favorable des planètes » (taux d’intérêt et prix de l’énergie bas, reprise américaine, baisse du cours de l’euro par rapport au dollar) jusqu’en 2017, où la croissance a atteint 2,2%. Celle-ci décroît depuis, avec l’extinction progressive desdits astres, dans une zone euro susceptible de plonger à nouveau vers la déflation. A tel point que le président de la BCE, dérogeant en fin de mandat à ses prérogatives, en appelle désormais les États à prendre leurs responsabilités pour relancer leur économie par la politique budgétaire, après que la BCE ait « fait le job » pour favoriser le crédit à bas taux aux entreprises (par une politique non-conventionnelle ciblée – programme T-LTRO) et pour permettre aux États de se financer à bas taux sur les marchés (par ses programmes de rachats de titres – SMP ET OMT).
En France, l’économie continuera en 2020 à créer des emplois si le PIB croît comme prévu à un rythme supérieur à 1,1%, en partie grâce aux mesures gilets jaunes. Mais le climat resterait morose si les profits nets, en hausse grâce à la politique de l’offre, demeuraient pour l’essentiel consacrés au versement de dividendes. Aussi conforme soit-elle à l’idéologie libérale, la politique du gouvernement s’avère, dans les faits, incapable d’enrayer le chômage de masse et de relancer franchement l’investissement, plombé par le coût du capital. Elle creusera les inégalités et fera plonger un nombre croissant de sans-emplois dans la pauvreté et la précarité. Quant à la transition écologique, celle-ci attendra, dans un autre monde, que les choix budgétaires privilégient enfin les investissements publics nécessaires, dans les énergies renouvelables et la politique des transports, au détriment du redressement improductif des revenus du capital.
Liem Hoang Ngoc -Economiste, ancien député européen, maître de conférences à l’Université de Paris.
Tribune publiée sur Marianne.fr le 29 novembre 2019 et à relire ici