L’âge de départ à la retraite sera reculé, d’une façon ou d’une autre…et le Medef refuse les critères de pénibilité.
La pension de retraite n’est pas une prestation universelle financée par l’impôt. Elle est abondée par la partie du salaire cotisée dans un pot commun au titre de la solidarité intergénérationnelle. Elle représente le salaire socialisé dans les caisses de sécurité sociale, gérées par les salariés eux-mêmes, et dont la jouissance est différée après la vie active. Ce régime redistribue aux salariés une partie de la richesse qu’eux seuls ont créée et qui, à défaut, servirait les profits. C’est pourquoi le patronat a tout fait pour obtenir, en 1967, la gestion paritaire des caisses de sécurité sociale afin de s’opposer à l’alourdissement de ce qu’il considère être des « charges sociales ». Les politiques de l’offre, qui se sont déployées depuis 1983, n’ont eu de cesse de réduire le « coût du travail » (les exonérations de cotisations sociales n’étant désormais même plus obligatoirement compensées) afin de redresser la part des profits dans la valeur ajoutée. Celle-ci a atteint en 2019 le record historique de 33 % (contre 30 % lors des Trente Glorieuses).
L’esprit de la réforme, réaffirmé dans la lettre du 11 janvier du Premier ministre conviant les syndicats à une conférence sur le financement des retraites, est bel et bien de sanctuariser une répartition des revenus devenue très favorable aux profits. Le point 8 de la lettre précise ainsi que « les mesures destinées à rétablir l’équilibre ne devront entraîner ni baisse des pensions ni hausse du coût du travail ». Outre que le calcul sur toute la carrière réduit mécaniquement les pensions, la conclusion de la conférence est déjà écrite. Le point 4 annonce que « le projet de loi prévoira que le futur système universel comporte un âge d’équilibre », avatar de l’« âge pivot » que le gouvernement a fait mine de retirer. L’âge de départ à la retraite sera donc reculé, d’une façon ou d’une autre, alors que le taux d’emploi des plus de 60 ans n’est que de 32 %. Cela transférera donc le déséquilibre putatif du régime de retraites vers l’assurance chômage, que le gouvernement vient de restreindre après l’échec de la négociation entre les « partenaires sociaux ». La conférence achoppera d’autant plus que le Medef n’entend pas reconnaître les critères de pénibilité susceptibles d’être inscrits pour moduler l’âge d’équilibre par métiers. C’est pourquoi le point 7 annonce que, « dans l’hypothèse où un accord ne pourrait intervenir, le gouvernement prendra par ordonnances les mesures nécessaires pour atteindre l’équilibre en 2027 ».
Le partage du gâteau est donc le nœud du débat. Assurer la retraite à 60 ans à taux plein et revaloriser les petites retraites coûterait 34 milliards. Cela ferait passer la part du PIB consacrée aux retraites, sanctuarisée à 14 %, à 15,5 %. Une hausse des cotisations de 2,2 %, à répartir entre cotisations patronales et salariales, serait nécessaire. Elle serait limitée en cas de mesures assurant l’égalité salariale hommes-femmes. Elle serait d’autant plus « indolore » que les deux tiers des profits sont versés sous forme de dividendes, alimentant pour l’essentiel la bulle financière sur le marché des actions.
Par Liem Hoang Ngoc – Tribune parue dans Politis le 22 janvier 2020