Selon Liêm Hoang-Ngoc, économiste et maître de conférences à l’Université de Paris-1, une fiscalité aux petits oignons pour les riches ne favorise pas l’économie dans son ensemble. Un rapport officiel fait un sort à la fumeuse théorie dite du « ruissellement ».
Le deuxième rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital permet de dresser un premier bilan des deux mesures fiscales phares adoptées dès la première Loi de finances de la mandature d’Emmanuel Macron : le remplacement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’Impôt sur la fortune immobilière (IFI) d’une part, le rétablissement d’une « flat tax » sur les revenus du capital d’autre part.
Prévues ultérieurement, ces deux mesures furent appliquées dès 2018 sous l’insistance pressante de l’Association française des entreprises privées et grâce à l’entremise du Cercle des économistes. Elles sont complémentaires. La suppression de l’ISF défiscalise totalement la détention d’actions et d’obligations. La « flat tax » revient à taxer les revenus engendrés par ces titres au taux forfaitaire unique de 12,8% (avant prélèvements sociaux), hors du barème progressif de l’Impôt sur le revenu, auquel sont assujettis les revenus du travail.
LES 20 000 FOYERS LES PLUS AISÉS ONT VU LEURS DIVIDENDES CROÎTRE DE PLUS DE 100 000 EUROS
Ce nouveau paquet fiscal s’adresse principalement aux foyers les plus fortunés, dont l’essentiel des revenus est composé de dividendes, d’intérêts et de plus-values de cessions. Par le passé, Nicolas Sarkozy avait déjà instauré une semblable « flat tax », moins avantageuse (au taux de 21% sur les actions, 24% sur les obligations) que celle de Macron. Elle fut supprimée par François Hollande en 2012, qui réintégra les revenus financiers dans le barème de l’impôt sur le revenu, en instaurant toutefois un plafonnement de l’ISF à 75% des revenus imposables.
Alors que les mesures Macron sont présentées comme nécessaires pour relancer l’investissement, les premières données disponibles (portant sur l’année 2018), commandée par France Stratégie à l’OCDE, ne permettent pas vraiment d’affirmer qu’elles aient « ruisselé » au bénéfice du plus grand nombre. Il était d’emblée possible de prédire que ces réformes allaient accroître la propension des ménages aisés à acquérir des titres en bourse défiscalisés, sources de dividendes croissants sous-imposés.
Le rapport confirme ainsi que les placements financiers des ménages sont passés de 45 milliards à 143 milliards entre 2017 et 2018, et que les dividendes déclarés, qui étaient de 14 milliards en 2017, ont augmenté de 62% en un an pour atteindre 23 milliards en 2018. Les deux tiers de ces dividendes ont bénéficié aux 0,1% les plus riches (soit 38 000 foyers). Les 20 000 foyers les plus aisés ont vu leurs dividendes croître de plus de 100 000 euros. Les 1500 premières fortunes de France ont, chacune, bénéficié d’une hausse des dividendes supérieure à 1 million d’euros.
PAS D’EFFETS MARQUÉS SUR L’INVESTISSEMENT DES ENTREPRISES
La question-clé consiste à évaluer si ce surcroît d’épargne et de revenus financiers des plus aisés a servi à alimenter l’investissement. L’analyse concrète du fonctionnement des marchés financiers permet d’en douter. Sur le marché actions, les émissions de titres, les seules qui financent de nouveaux investissements, sont marginales (elles représentent 0,2% de la capitalisation boursière). Sur le marché obligataire, les entreprises (dont le taux d’endettement est inquiétant) émettent certes des titres pour se financer. Mais elles empruntent par ce biais pour racheter des actions dans le cadre d’opérations de fusions acquisition et non pour financer de la formation de capital fixe.
Ces faits ne sont pas rappelés par le rapport, qui indique toutefois, s’agissant des Start-up, que la suppression de la niche ISF-PME (consécutive à l’instauration de l’IFI) a fait chuter la levée de fonds de capital investissement. Le rapport du Comité d’évaluation ne pouvait donc que l’avouer : « aucune étude empirique n’a pu mettre en évidence d’effets marqués à court-moyen terme sur l’investissement des entreprises, ni de la taxation du patrimoine des ménages, ni de la taxation des dividendes. »
Des exilés fiscaux sont de retour dans une France qui évitera désormais de mettre les riches à contribution.
Le rapport souligne en outre que la suppression en 2013 de la « flat tax » Sarkozy n’a pas eu d’incidence négative sur l’investissement, pas plus que son rétablissement sous une forme plus avantageuse n’a stimulé l’accumulation de capital fixe en 2018.
La réintégration des revenus du capital dans le barème de l’IR avait entraîné en 2013 une baisse de 9 milliards des dividendes versés. Les profits libérés avaient servi aux entreprises à améliorer leur trésorerie et leurs fonds propres, et permis aux dirigeants d’accroître leurs dépenses personnelles.
LE SOLDE ENTRE LE NOMBRE DE RICHES QUI PARTENT ET CEUX QUI REVIENNENT : +77
A défaut de pouvoir démontrer, chiffres à l’appui, l’impact bénéfique de l’IFI et de la « flat tax » sur l’investissement, l’alibi de la concurrence fiscale internationale est convoqué en dernier recours par leurs promoteurs. Le rapport se satisfait ainsi que le taux marginal d’impôt effectif sur les capitaux mobiliers ait rejoint, grâce à ces réformes, celui des principaux pays de l’OCDE. Comme conséquence, le nombre de retours en France de ménages qui étaient imposables à l’ISF est passé de 113 à 240 entre 2017 et 2018, tandis que le nombre de départs a baissé de 376 à 163. Le solde entre le nombre de riches qui partent et qui reviennent en France est donc devenu positif. Il est de +77.
Ces mouvements sont toutefois de faible ampleur (il y avait au total 133 000 foyers imposables à l’ISF). À l’instar des émigrés de la Révolution lors de la restauration, des exilés fiscaux sont de retour dans une France qui évitera désormais de mettre les riches à contribution pour financer les charges de la solidarité nationale. Les nouveaux rentiers sont non seulement les principaux bénéficiaires des baisses d’impôts sur la détention et les revenus du capital mobilier (le montant annuel de ces baisses d’impôt comprenant les 3,5 milliards octroyés grâce à la suppression de l’ISF et les 1,7 milliard obtenus grâce à la « flat tax »), mais également de l’accroissement des dividendes sous-fiscalisés que les entreprises (privatisées depuis trente ans à leur profit) leur versent.
En attendant la baisse promise de l’Impôt sur les sociétés, le MEDEF vient de leur obtenir une cerise sur les parts du gâteau qu’ils se partagent, en obtenant la suppression d’impôts de production qui finançaient les collectivités territoriales. Ces évènements témoignent indéniablement d’un certain séparatisme fiscal des « premiers de cordée ».
Par Liem Hoang Ngoc – Tribune publiée sur Marianne.net le 12/10/2020